CELEX:62024CO0262: Ordonanța Curții (Camera a șasea) din 12 februarie 2025.#Pegazus Busz Fuvarozó Kft. împotriva Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága.#Cerere de decizie preliminară formulată de Fővárosi Törvényszék.#Cauza C-262/24.
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Redacția Lex24 |
Publicat in CJUE: Decizii, 25/02/2025 |
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Informatii
Data documentului: 12/02/2025Emitent: CJCE
Formă: CJUE: Decizii
Stat sau organizație la originea cererii: Ungaria
Procedura
Tribunal naţional: *A9* Fővárosi Törvényszék, Végzést 29/02/2024 (38.K.701.171/2022/11.)ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)
12 février 2025 (*)
« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, et article 99 du règlement de procédure de la Cour – Irrecevabilité manifeste – Réponse pouvant être clairement déduite de la jurisprudence – Fiscalité – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Droit à déduction de la TVA payée en amont – Refus – Fraude fiscale – Obligations de l’assujetti – Charge de la preuve – Principes de proportionnalité et de sécurité juridique – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Contradiction entre la jurisprudence nationale et le droit de l’Union – Article 267 TFUE – Primauté du droit de l’Union – Obligation de renvoi préjudiciel »
Dans l’affaire C‑262/24,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie), par décision du 29 février 2024, parvenue à la Cour le 12 avril 2024, dans la procédure
Pegazus Busz Fuvarozó Kft.
contre
Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága,
LA COUR (sixième chambre),
composée de M. A. Kumin, président de chambre, Mme I. Ziemele et M. S. Gervasoni (rapporteur), juges,
avocat général : Mme J. Kokott,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér et Mme R. Kissné Berta, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par M. V. Bottka, Mmes P. Carlin et O. Dani, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, et à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,
rend la présente
Ordonnance
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation notamment, d’une part, de l’article 167, de l’article 168, sous a), et de l’article 178, sous a), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »), ainsi que, d’autre part, de l’article 267 TFUE, du principe de primauté du droit de l’Union et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la société de droit hongrois Pegazus Busz Fuvarozó Kft. (ci-après « Pegazus ») à la Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága (direction des recours de l’administration nationale des impôts et des douanes, Hongrie) au sujet du refus, opposé à cette société, du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) acquittée en amont au titre de prestations de services.
Le cadre juridique
3 L’article 267 TFUE dispose :
« La Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel :
a) sur l'interprétation des traités,
[…]
Lorsqu’une telle question est soulevée devant une juridiction d’un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.
Lorsqu’une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.
[…] »
4 L’article 47 de la charte des droits fondamentaux prévoit :
« Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter.
[…] »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
5 Pegazus fournit des services de transport de personnes. Du mois de septembre 2012 au mois de juin 2016, elle a assuré le transport en bus des employés d’une entreprise hongroise entre leur domicile et leur lieu de travail en ayant recours à plusieurs sociétés sous-traitantes successives.
6 À la suite de contrôles, le Nemzeti Adó- és Vámhivatal Kelet-budapesti Adó- és Vámigazgatósága (direction des impôts et des douanes de Budapest-Est de l’administration nationale des impôts et des douanes, Hongrie) (ci-après l’« administration fiscale ») a considéré que Pegazus avait déduit à tort la TVA relative aux prestations de ces sous-traitants et qu’il en résultait une dette de TVA à sa charge, notamment pour les deuxième à quatrième trimestres de l’année 2015, en cause dans le litige dont la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie), qui est la juridiction de renvoi, est saisie.
7 À cet égard, cette administration a constaté que toutes les sociétés sous-traitantes avaient employé les mêmes personnes sur les mêmes itinéraires avec les mêmes véhicules et pour des salaires quasiment identiques, et que ces employés avaient reçu leurs instructions de la même personne pendant toute la période mentionnée au point 5 de la présente ordonnance.
8 Ladite administration a également relevé le fait qu’il existait des liens personnels et organisationnels entre Pegazus et certaines des sociétés sous-traitantes, que l’adresse des succursales de ces différentes sociétés était la même et que les déclarations d’impôts desdites sociétés avaient été déposées à plusieurs reprises par la même personne à partir de la même adresse électronique.
9 Enfin, les mêmes sociétés n’auraient pas rempli leurs obligations fiscales et, à l’exception de Déda Szervíz, auraient cessé leurs activités après un certain temps.
10 Au vu de ces éléments, l’administration fiscale a considéré que les opérations mentionnées sur les factures émises par Déda Szervíz avaient eu pour finalité de permettre à Pegazus, d’une part, de générer de la TVA déductible afin de réduire le montant de la TVA due par cette dernière société et, d’autre part, d’exonérer celle-ci du paiement des cotisations sociales relatives à ses employés.
11 En outre, l’administration fiscale a estimé que, en raison des liens personnels et organisationnels de Pegazus avec certains des sous-traitants, cette société devait nécessairement savoir que la TVA figurant sur les factures de ces sous-traitants qu’elle déduisait n’avait pas été versée au Trésor public par ceux-ci, de sorte qu’elle participait à une fraude fiscale.
12 Par deux décisions, l’administration fiscale a refusé à Pegazus le droit à déduction de la TVA relative aux prestations effectuées par un sous-traitant au cours des trois derniers trimestres de l’année 2015.
13 Sur recours de Pegazus, la juridiction de renvoi a réformé ces décisions et, par voie de conséquence, a annulé le rappel de TVA, l’amende fiscale et les pénalités de retard qui avaient été imposées à cette société. Elle a estimé que l’administration fiscale n’avait pas apporté la preuve de l’existence d’une fraude.
14 La Kúria (Cour suprême, Hongrie) a annulé l’arrêt de la juridiction de renvoi et lui a renvoyé l’affaire en lui ordonnant de la réexaminer. Elle a reproché à cette juridiction de n’avoir pas suffisamment pris en compte toutes les circonstances de l’affaire, en particulier les liens personnels et organisationnels entre les différentes sociétés impliquées.
15 Saisie de nouveau de l’affaire, la juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à la compatibilité de la pratique de l’administration fiscale, confirmée par la Kúria (Cour suprême), avec la jurisprudence de la Cour. Elle se demande si les constatations de l’administration fiscale, prises séparément ou dans leur ensemble, permettent de justifier le refus de la déduction de la TVA. Elle s’interroge également sur les obligations qui découlent, pour les juridictions nationales, de la primauté du droit de l’Union, eu égard au fait que, selon son appréciation, la Kúria (Cour suprême) n’a pas appliqué les enseignements ressortant des ordonnances du 3 septembre 2020, Vikingo Fővállalkozó (C‑610/19, EU:C:2020:673), et du 3 septembre 2020, Crewprint (C‑611/19, EU:C:2020:674).
16 Dans ces conditions, la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Faut-il considérer qu’est conforme à l’article 167, à l’article 168, sous a), et à l’article 178, sous a), de la directive TVA ainsi qu’au droit à un procès équitable, reconnu comme principe général du droit à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux […], en relation avec les principes de proportionnalité et de sécurité juridique, une pratique de l’administration fiscale en vertu de laquelle :
a) en dépit de ce qu’il est admis que l’événement économique mentionné sur la facture s’est bien produit, l’assujetti se voit refuser le droit à déduction par l’administration en question, qui fait valoir qu’il peut être déduit de l’ensemble des circonstances considérées par elle comme pertinentes, telles que le recours à des sous-traitants et les liens personnels, organisationnels et de participation mis au jour, le comportement dont a fait preuve avec les salariés la personne désignée comme personne de contact au quotidien dans le contrat d’entreprise principal conclu entre le client et la requérante, ainsi que le fait que les conditions d’emploi des salariés sont restées inchangées auprès des sous-traitants successifs, que le comportement de la requérante contrevient à l’exigence de l’exercice du droit conforme à sa destination, de sorte qu’il serait permis de conclure que l’activité économique est artificielle et a été créée exclusivement en vue d’obtenir un avantage fiscal, à l’encontre des objectifs du régime de la TVA, alors que les circonstances précitées découlent nécessairement de la liberté contractuelle de droit privé ainsi que des règles du droit civil, du droit du travail et du droit fiscal applicables à ces contrats et qu’elles n’ont aucun lien de causalité avec le droit de l’assujetti de déduire la TVA ?
b) L’administration fiscale apprécie comme constituant un évitement de l’imposition la circonstance que l’émetteur de la facture est en retard de paiement des impôts, taxes ou cotisations déclarés, alors qu’il a obtenu un échelonnement, en vue de s’en acquitter, de ladite administration, qui a finalement recouvré le montant de la dette dans le cadre de la procédure d’exécution forcée engagée contre le sous-traitant, de sorte que le Trésor n’a subi aucun préjudice ; ou faut-il considérer que seule la dissimulation de la taxe aux yeux de l’administration fiscale, c’est-à-dire l’absence de déclaration et de paiement, constitue un comportement frauduleux ?
c) L’administration fiscale, en invoquant le secret fiscal, n’indique pas à l’assujetti, dans le cours de la procédure, en quoi consiste le comportement considéré comme une fraude fiscale, c’est-à-dire en quoi consiste le non-respect de l’obligation de paiement des impôts, taxes et cotisations, et, ainsi, n’indique ni quel est le sous-traitant concrètement concerné par le manquement, ni de quel type d’impôt ou taxe (ou cotisation) il est question, ni l’ampleur et la période du manquement, mais se borne à y faire une référence d’ordre général ?
d) L’administration fiscale, en invoquant simplement les liens personnels et organisationnels entre les sous-traitants et l’assujetti, non seulement exige de ce dernier, pour qu’il puisse faire valoir son droit à déduction, des vérifications (concernant la dette fiscale d’un sous-traitant de l’assujetti) auxquelles cet assujetti n’a ni l’obligation, ni le droit de procéder (concernant la dette fiscale d’un sous-traitant de l’assujetti), mais suppose, sur la base de cette seule circonstance, que l’assujetti a connaissance de la dette fiscale du sous-traitant, sans vérifier sur le fond ni ce que sait réellement l’assujetti ni s’il peut avoir connaissance [de ce que l’administration suppose qu’il doit savoir] que ce soit légalement (secret fiscal), matériellement ou logiquement ? Le fait que ce sont des particuliers qui sont à l’origine des liens personnels et organisationnels modifie-t-il quelque chose au caractère fondé ou non de la connaissance des faits imputés à l’assujetti ?
e) La détermination de l’employeur avec lequel est nouée la relation de travail qu’entretient le salarié est opérée non pas en se fondant sur le contrat de travail sur lequel est basée la relation de travail et sur la personne qui a déclaré le salarié ainsi que sur les déclarations concordantes des employeurs et des salariés, qui confirment le contenu de ces documents, mais sur la base des déclarations en sens contraire de deux salariés (désormais un seul), sur la base des circonstances dans lesquelles les relations de travail avec les anciens sous-traitants ont été nouées et des similitudes dans la façon dont les salariés ont été employés, ainsi que sur la base du comportement du gérant du premier employeur, qui est également la personne de contact dans le contrat d’entreprise générale, et cela sans un examen circonstancié du fondement juridique de cette constatation ?
f) L’administration fiscale reporte littéralement ses constatations relatives aux périodes antérieures sur les périodes ultérieures, sans tenir compte de l’évolution des faits pertinents au cours de chaque période, notamment de la disparition des liens personnels et organisationnels, et, en dépit de ces changements factuels, n’examine pas en quoi ceux-ci, au cours de la période en cause, ont affecté son appréciation quant à l’exercice d’un droit non conforme à sa destination, au caractère artificiel de l’activité économique et à l’existence d’un comportement frauduleux ou quant à ce que le contribuable savait ou devait savoir à cet égard ?
2) Compte tenu également de la réponse apportée à la question précédente, les articles précités de la directive TVA et, plus particulièrement, le principe de sécurité juridique font-ils obstacle à la conclusion de principe développée dans la jurisprudence, selon laquelle, lorsque peuvent être constatés des liens personnels entre la partie requérante et les émetteurs des factures, susceptibles d’avoir une incidence sur la réalisation de l’événement économique sur lequel porte la facture, il peut être considéré, sans qu’il soit nécessaire d’examiner davantage ce que savait ou devait savoir l’assujetti, que celui-ci avait connaissance d’un éludement de l’imposition consistant en l’absence d’acquittement des charges publiques ?
3) En résumé, l’administration fiscale, par la façon d’agir précitée, s’acquitte-t-elle, de la manière requise en droit, de la charge de la preuve qui pèse sur elle s’agissant de démontrer des circonstances objectives en relation avec la déduction de la TVA, ou ses conclusions doivent-elles être qualifiées de constatations fondées sur des présomptions et des suppositions, eu égard également au principe énoncé par la Cour selon lequel les règles de droit national en matière d’administration de la preuve ne doivent pas porter atteinte à l’application effective du droit de l’Union ?
4) Faut-il considérer que constituent une violation de l’article 267 TFUE, du principe de primauté du droit de l’Union, du droit à une protection juridictionnelle effective et du droit à un procès équitable au sens de l’article 47 de la [charte des droits fondamentaux],
– le fait, pour la juridiction nationale statuant en dernier ressort, de ne pas appliquer une décision de la Cour en raison d’une différence de fait, en ce que, selon la juridiction nationale, l’objet de la décision de la Cour est une livraison de biens alors que l’objet de l’affaire dont elle est saisie est une prestation de services, ou que, toujours selon la juridiction nationale, la circonstance objective invoquée dans l’affaire en cause n’est qu’une des circonstances objectives appréciées dans la décision de l’Union applicable et que, par conséquent, seule une partie de la décision de la Cour, tout au plus, trouverait à s’y appliquer ;
– le fait, pour la juridiction nationale statuant en dernier ressort, dans le cadre d’un pourvoi en cassation, d’écarter une décision adoptée sur la base d’un arrêt de la Cour rendu dans le cadre d’une procédure préjudicielle et de rendre une décision en sens contraire sans que la juridiction statuant en dernier ressort ait elle-même introduit une demande de décision préjudicielle, en dépit des contradictions en matière d’interprétation du droit de l’Union constatées dans sa décision ?
5) Compte tenu de l’effectivité des droits et des principes énumérés au point précédent ainsi que de l’obligation d’écarter le droit national contraire au droit de l’Union, une juridiction appelée à statuer à nouveau, sur renvoi de l’affaire devant elle par la juridiction statuant en dernier ressort, peut‑elle, dans le cadre de la procédure sur renvoi après cassation, s’écarter des orientations qui lui ont été fournies par la juridiction statuant en dernier ressort, si elle juge ces orientations contraires au droit de l’Union et que la juridiction statuant en dernier ressort a donné lesdites orientations sans introduire de procédure préjudicielle ou que, après qu’une procédure sur renvoi après cassation a été ordonnée, la Cour, dans une affaire portant sur des faits similaires, a rendu, sur une question de droit identique, une décision [contraire] à l’interprétation du droit qui sous-tend l’injonction de reprendre la procédure ; ou bien la possibilité de déroger aux injonctions de la juridiction d’un État membre statuant en dernier ressort et d’appliquer la décision rendue ultérieurement par la Cour n’est-elle ouverte que si la juridiction à nouveau saisie engage une procédure préjudicielle dans le cadre du renvoi de l’affaire devant elle après cassation ? »
Sur les questions préjudicielles
17 En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque la Cour est manifestement incompétente pour connaître d’une affaire ou lorsqu’une demande ou une requête est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.
18 En outre, en vertu de l’article 99 du règlement de procédure, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à une telle question ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.
19 Il y a lieu de faire application de ces dispositions afin de statuer sur les questions préjudicielles dans la présente affaire.
Sur les première, deuxième et troisième questions
20 Par ses trois premières questions, à l’exception de la première question, sous c), la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive TVA, lue en combinaison avec le droit à un procès équitable ainsi qu’avec les principes de proportionnalité et de sécurité juridique, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une pratique nationale par laquelle l’administration fiscale refuse à un assujetti le droit de déduire la TVA acquittée en amont au motif que, prises séparément ou considérées ensemble, les circonstances relevées par l’administration fiscale dans l’affaire au principal permettent de conclure à la participation de cet assujetti à une fraude à la TVA.
21 Il convient de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour, saisie dans le cadre de l’article 267 TFUE, de qualifier les faits du litige au principal, une telle qualification relevant de la seule compétence du juge national. Le rôle de la Cour se limite à fournir à ce dernier une interprétation du droit de l’Union utile pour la décision qu’il lui revient de prendre dans le litige dont il est saisi (arrêts du 13 octobre 2005, Parking Brixen, C‑458/03, EU:C:2005:605, point 32 ; du 21 mai 2015, Kansaneläkelaitos, C‑269/14, EU:C:2015:329, point 25, et du 2 juillet 2020, Blackrock Investment Management (UK), C‑231/19, EU:C:2020:513, point 25).
22 En effet, la Cour n’est pas compétente pour appliquer les règles de droit à une situation déterminée, l’article 267 TFUE habilitant seulement la Cour à se prononcer sur l’interprétation des traités et des actes pris par les institutions de l’Union européenne (arrêt du 16 juin 2022, DuoDecad, C‑596/20, EU:C:2022:474, point 37 et jurisprudence citée).
23 Il est rappelé, à cet égard, aux points 8 et 11 des recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1), que la demande de décision préjudicielle ne peut porter sur des questions de fait soulevées dans le cadre du litige au principal et que la Cour n’applique pas, elle-même, le droit de l’Union à ce litige (arrêt du 16 juin 2022, DuoDecad, C‑596/20, EU:C:2022:474, point 38).
24 Il résulte de ce qui précède que, à l’exception de la première question, sous c), la Cour, saisie à titre préjudiciel, est manifestement incompétente pour répondre aux première, deuxième et troisième questions préjudicielles, dès lors que, par ces questions, la juridiction de renvoi demande à la Cour d’apprécier les différentes circonstances du litige dont elle est saisie au regard du droit à déduction de la TVA et de la notion de « fraude ».
Sur la première question, sous c)
25 Par la première question, sous c), la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit à un procès équitable, consacré à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux, doit être interprété en ce sens que son respect exige que l’assujetti ait connaissance et puisse débattre contradictoirement, devant la juridiction nationale saisie, des éléments de preuve sur lesquels l’administration fiscale se fonde pour considérer que cet assujetti participe à une fraude à la TVA.
26 La réponse à cette question peut être clairement déduite de la jurisprudence de la Cour.
27 Selon cette jurisprudence, il incombe à l’autorité fiscale, d’une part, de caractériser précisément les éléments constitutifs de la fraude et de rapporter la preuve des agissements frauduleux et, d’autre part, d’établir que l’assujetti a participé activement à cette fraude ou bien qu’il savait ou aurait dû savoir que l’opération invoquée pour fonder ce droit était impliquée dans ladite fraude. C’est aux juridictions nationales qu’il appartient de vérifier que les autorités fiscales ont rapporté cette preuve à suffisance de droit (voir, en ce sens, arrêt du 1er décembre 2022, Aquila Part Prod Com, C‑512/21, EU:C:2022:950, point 36).
28 Or, pour satisfaire aux exigences liées au droit à un procès équitable, il importe que les parties aient connaissance et puissent débattre contradictoirement devant la juridiction saisie tant des éléments de fait que des éléments de droit qui sont décisifs pour l’issue de la procédure, y compris des éléments de preuve de la participation de l’assujetti à une fraude à la TVA alléguée par l’administration fiscale (arrêt du 1er décembre 2022, Aquila Part Prod Com, C‑512/21, EU:C:2022:950, points 60 et 61).
29 Par conséquent, il y a lieu de répondre à la première question, sous c), que le droit à un procès équitable, consacré à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux, doit être interprété en ce sens que son respect exige que l’assujetti ait connaissance et puisse débattre contradictoirement, devant la juridiction nationale saisie, des éléments de preuve sur lesquels l’administration fiscale se fonde pour considérer que cet assujetti participe à une fraude à la TVA.
Sur la quatrième question
30 Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le fait pour la juridiction nationale statuant en dernier ressort de décider, dans certaines circonstances, de ne pas appliquer une décision de la Cour sans pour autant lui adresser une question préjudicielle constitue une violation de l’article 267 TFUE, du principe de primauté du droit de l’Union, du droit à une protection juridictionnelle effective et du droit à un procès équitable.
31 Selon la jurisprudence de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher. La justification du renvoi préjudiciel est non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un litige. Comme il ressort des termes mêmes de l’article 267 TFUE, la décision préjudicielle sollicitée doit être « nécessaire » pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement » dans l’affaire dont elle se trouve saisie. En effet, la mission de la Cour, dans le cadre d’une procédure préjudicielle, est d’assister la juridiction de renvoi dans la solution du litige concret pendant devant elle. Dans le cadre d’une telle procédure, il doit ainsi exister entre ledit litige et les dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est sollicitée un lien de rattachement tel que cette interprétation réponde à un besoin objectif pour la décision que la juridiction de renvoi doit prendre (ordonnance du 4 octobre 2024, Shkotareva, C‑255/24, EU:C:2024:878, point 25 et jurisprudence citée).
32 En l’occurrence, une réponse à la quatrième question, qui porte sur l’obligation, pour une juridiction nationale dont les décisions sont insusceptibles de recours en droit interne, de saisir la Cour d’une demande préjudicielle n’est manifestement pas nécessaire pour permettre à la juridiction de renvoi, qui n’est pas elle-même une telle juridiction, de trancher le litige au principal.
33 Eu égard à ce qui précède, la quatrième question préjudicielle est manifestement irrecevable.
Sur la cinquième question
34 Par la cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe de primauté du droit de l’Union et l’article 267 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’une juridiction nationale statuant dans le cadre d’une procédure sur renvoi après cassation, qui lui impose, en vertu du droit national, de suivre les orientations de la décision de renvoi, peut néanmoins écarter ces orientations si elle les estime contraires au droit de l’Union, sans être tenue d’adresser au préalable une question préjudicielle à la Cour.
35 La réponse à cette question peut être clairement déduite de la jurisprudence de la Cour.
36 Selon une jurisprudence constante, le principe de primauté du droit de l’Union impose à toutes les instances des États membres, donc également à leurs juridictions, de donner leur plein effet aux différentes normes de l’Union, en écartant au besoin les normes de droit national qui n’y sont pas conformes (voir, en ce sens, arrêts du 22 juin 1989, Costanzo, 103/88, EU:C:1989:256, points 30 et 31, ainsi que du 6 octobre 2020, La Quadrature du Net e.a., C‑511/18, C‑512/18 et C‑520/18, EU:C:2020:791, point 214).
37 Ce principe oblige notamment le juge national, ayant exercé la faculté que lui confère l’article 267 TFUE, d’écarter les appréciations en droit d’une juridiction nationale supérieure, s’il estime, eu égard à l’interprétation d’une disposition de droit de l’Union fournie par la Cour, que ces appréciations ne sont pas conformes à ce droit (arrêt du 11 janvier 2024, Global Ink Trade, C‑537/22, EU:C:2024:6, point 30 et dispositif).
38 Cette obligation pèse également sur le juge national qui n’a pas exercé la faculté que lui confère l’article 267 TFUE. En effet, lorsque la jurisprudence de la Cour a déjà apporté une réponse claire à une question portant sur l’interprétation du droit de l’Union, ledit juge national doit faire tout le nécessaire pour que cette interprétation soit mise en œuvre (voir, en ce sens, arrêt du 10 mars 2022, Grossmania, C‑177/20, EU:C:2022:175, point 42 et jurisprudence citée).
39 La circonstance que le juge national statue dans le cadre d’une procédure sur renvoi après cassation et doive, en vertu du droit national, suivre les orientations de la décision de renvoi n’est pas de nature à remettre en cause l’obligation pour ce juge d’écarter les appréciations d’une juridiction nationale supérieure, si celles-ci sont contraires au droit de l’Union. En effet, une solution différente serait incompatible avec le principe de primauté du droit de l’Union.
40 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la cinquième question que le principe de primauté du droit de l’Union et l’article 267 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’une juridiction nationale statuant dans le cadre d’une procédure sur renvoi après cassation, qui lui impose, en vertu du droit national, de suivre les orientations de la décision de renvoi, a néanmoins l’obligation d’écarter ces orientations si elle les estime, notamment au vu de la jurisprudence de la Cour, contraires au droit de l’Union, sans pour cela être tenue d’adresser au préalable une question préjudicielle à la Cour.
Sur les dépens
41 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) ordonne :
1) La Cour de justice de l’Union européenne est manifestement incompétente pour répondre aux première, deuxième et troisième questions préjudicielles, à l’exception de la première question, sous c), posées par la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie), par décision du 29 février 2024.
2) Le droit à un procès équitable, consacré à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens que son respect exige que l’assujetti ait connaissance et puisse débattre contradictoirement, devant la juridiction nationale saisie, des éléments de preuve sur lesquels l’administration fiscale se fonde pour considérer que cet assujetti participe à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée.
3) La demande de décision préjudicielle introduite par la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie) est manifestement irrecevable en ce qui concerne la quatrième question posée par cette juridiction.
4) Le principe de primauté du droit de l’Union et l’article 267 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’une juridiction nationale statuant dans le cadre d’une procédure sur renvoi après cassation, qui lui impose, en vertu du droit national, de suivre les orientations de la décision de renvoi, a néanmoins l’obligation d’écarter ces orientations si elle les estime, notamment au vu de la jurisprudence de la Cour, contraires au droit de l’Union, sans pour cela être tenue d’adresser au préalable une question préjudicielle à la Cour.
Signatures
* Langue de procédure : le hongrois.